Chronique 3

Chers lecteurs,

Aujourd’hui la journée est à la transformation. En tant que journaliste impliqué, mon apparence n’est qu’un outil de plus à l’information. Se grimer n’est pas le terme, car… je vous avoue que j’ai ressenti un certain plaisir durant l’étape du fard à paupières. Je suis donc allé chez ma voisine fan de bronzette, et lui ai demandé de me transformer en une innoncente petite grand mère. La préparation fut rude, mais après quelques heures de plaisir coupable à passer sous les pinceaux, le reflet qui me faisait face dans le miroir me donnait envie de créer ma marque de compote.

Ma canne à la main, j’entamai ma traversée des ruelles avec une démarche désarticulée. Le dos courbé et les chevilles tremblantes, le costume était parfait. Arrivé devant la poste, aux environs de la place du marché, j’ajustai ma caméra espion, cachée dans mon décolleté. Mon périple prit fin devant les escaliers de la fameuse bâtisse. Lecteurs, vous méritez de connaître mes ressentis, et à cet instant précis, la peur se déversait dans mes veines. La porte était entre-ouverte. Un parfum sucré s’en échappait. Une marche après l’autre, je ne savais plus si ma tremblote venait de mon costume ou de la peur qui m’envahissait petit à petit. Le monde semblait tourner au ralenti, comme déconnecté de mon corps, je voyais ma main se rapprocher de la grande porte en bois, puis la pousser. Et qu’elle ne fut ma surprise quand je vis…

Un bar ! L’ambiance charmante de cette pièce sembla m’enrober. Les murs jonchés d’étagères croulaient sous la verrerie prête à servir. Mon cerveau ne faisait qu’alterner entre les visions d’horreur appréhendées et la charmante réalité qui se dressait face à moi. Les machines de torture se superposaient aux bornes d’arcade. Les tâches de sang aux rayons de bières. Les gardes menaçants à la… charmante… sublime dame derrière le comptoir. Chers lecteurs et… lectrices, à ce moment précis je me suis senti désarçonné, désarmé… par son regard charbonneux… À cette seconde cher public, je rêvais de devenir le stylo qui naviguait entre ses doigts. Mon cœur tout entier subit le choc de passer de la terreur à l’amour, comme passer d’un étang gelé à un bain parfumé.

Son regard se dirigea vers moi. Mon dieu, à ce moment là tout mon corps criait. Que faire? Comment m’inscrire dans son esprit ? Notre amour serait-il possible en vue de ma quête des informations qu’elle détenait si précieusement cachées? Cette contradiction pourrait finalement créer les bases solides d’une relation consolidée par les difficultés d’une tragédie. J’ai toujours été passionné par les contes tragiques des dieux antiques, alors pourquoi ne pourrait-elle pas être ma Alceste, déesse dont l’amour est sans faille ?

S’en était trop pour moi, grand mère ou pas, c’est à grande foulées que les draveillois virent une ombre à jupons fuir de l’ancienne mairie.

Louis, votre journaliste du troisième âge.